Par les choux, les dieux et le Styx!
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25 août 1723. Enfin ! C’est la fin des cours ! Il reste encore à endurer l’indéboulonnable remise des prix qui clôture toute année scolaire qui se respecte. Au collège de la Trinité, certains l’attendent avec plaisir, comme Charles-Joseph de Ruolz. Il sait qu’il a excellé en poésie. Il l’aime la poésie. Peut-être même, un jour, il écrira dessus. Tout en se dirigeant vers les bancs encore clairsemés, il chahute gentiment avec ses camarades. Cette cérémonie, ce n’est pas rien. Chaque premier prix est appelé par son nom ; il doit alors se lever et se diriger sans trébucher vers l’estrade ; franchir la volée de marches qui le sépare de ses maitres ; le dos tourné, s’entendre complimenter d’un petit frais de grande personne et recevoir en souvenir un livre de prix aux armes du collège et dans lequel un papillon collé rappelle le nom et la distinction de l’élève ; puis, seulement, il pourra se retourner et faire face à ses condisciples : aux amis arborant un bon sourire, aux envieux qui trépignent, aux méprisants qui se fichent comme d’une guigne de son succès – enfin c’est ce qu’ils claironnent à qui veut les entendre-, aux pauvres diables qui ont l’impression que jamais ils n’auront droit à cet honneur, trop médiocres, trop malchanceux ou simplement trop paresseux.
Premier prix de poésie |
Le volume in-4 est lourd dans ses bras. Il est aux armes du collège, trois losanges dans un écusson surmonté d’une couronne et aux armes de la ville de Lyon : de gueules au lion rampant, chargé de trois fleurs de lys d’or. Charles-Joseph, qui écoute à peine le discours et dont l’esprit papillonne un peu, observe le dos orné de caissons et rinceaux, passe sa main sur la jolie reliure en veau. On l’applaudit. Il redescend.
Toutes les occasions sont bonnes pour créer des chevaliers, entrées des princes dans les villes, baptêmes, traités de paix, naissance des dauphins de France, mort des parents en Italie. Une fois chevalier, une foule de devoirs doivent être respectée par l’heureux élu. Les chevaliers de Sainte Madeleine, en plus des engagements classiques, juraient de ne pas jouer aux jeux de hasard, de ne pas lire de mauvais livres, ni de chanter de chansons malhonnêtes, et encore moins de se battre en duel. Quelle barbe ! Il est aisé de comprendre que du coup, ils aient voulu en découdre avec les infidèles et abréger pieusement cette vie sans canailleries, ni grands rires, ni frissons gratuits. Et gare à celui qui passait outre ! Charles-Joseph frissonne en découvrant le sort réservé à ceux qui ne respectent pas le code d’honneur de la chevalerie. Avant d’être mis à mort, le chevalier subit en présence de 20 à 30 preux une dégradation parfaitement orchestrée : à voix haute on rappelle son ignominie, on plante son écu sur un pieu, renversé, la pointe en haut. On lui chante sous le nez les vigiles des morts de A à Z en ménageant des pauses pendant lesquelles on le dépouille peu à peu de ses attributs chevaleresques. Puis on écrabouille à coup de marteau son écu. Par la suite, les prêtres mettent leur main sur la tête du condamné et récitent le psaume 109 contenant les malédictions et imprécations réservées aux traitres. Et ce n’est pas fini ! Le roi d’armes alors, renverse un bassin d’eau tiède sur la tête du malheureux et pendant qu’il dégouline seul dans son coin, les assistants revêtent sous son nez leurs habits de deuil. Enfin on passe une corde sous les aisselles de l’ex-chevalier, on le fait s’allonger sur une civière et on le recouvre d’un drap mortuaire. C’est un peu l’ancêtre du supplice de l’IRM : on se sent enterré vivant. Autant dire que même si après tout ce tralala on finissait par être gracié, on ne devait pas en mener large.
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animaux totems pour chevaliers sans peur et sans reproche |
Charles-Joseph reste dubitatif et se reporte aux belles illustrations qui ornent son livre. Il y a en tout 12 planches gravées sur cuivre. Quelques-unes sont extravagantes comme cette reproduction d’une épatante petite figure de bronze déterrée à Rome figurant un capitaine barbare arborant à la poitrine une médaille de Constantin, bizarrerie qu’Honoré de Sainte Marie tente d’expliquer. Plusieurs autres gravures, légendées en regard, représentent les colliers et armes de 69 ordres allant de l’ordre du porc-épic à celui de l’éléphant en passant par celui du cygne, de la genette, de l’ours, du chien & du coq, de l’aigle blanc ; de celui de la sainte ampoule à celui de la Toison d’Or ; de l’ordre du Bain à celui de la Jarretière ; de l’ordre de l’aile de saint Michel à celui de sainte Brigitte.
colliers de chevaliers |
Le préfet continue son discours sur le sens de l’effort, la camaraderie, les hommes qu’ils seront plus tard, élite de la nation. Pfff ! Charles-Joseph préfère se perdre dans le chapitre sur lequel le hasard du feuilletage vient de le parachuter. Ça cause des femmes ! Mais pas de n’importe lesquelles ! De celles qui furent élevées à la chevalerie à l’image de ces ménagères de moins de 50 ans de Tortose pour qui Raimond Bérenger, dernier comte de Barcelone, érigea l’ordre de la Hache. Le jeune garçon les imagine se saisissant des haches de leurs maris partis aux champs, et se transformant en amazones catalanes, au point de faire reculer l’ennemi. Il sourit en haussant très légèrement les épaules. Pour lui, les femmes dignes d’intérêt ne sont pas ces furies modernes mais plutôt les femmes d’esprit, qui le ravissent.
LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE estactuellement en vente à la librairie:
Preux barbare ? |