FOUS À ROULER
Mais tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, s’écrie leur cousin Emmanuel Bibesco ! Soyons fous, voyons loin, allons jusqu’à Ispahan en auto!
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crevaison…à mille milles de toute terre habitée |
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une princesse et un reporter pour un même road-movie |
S’il s’est dépêché de faire paraître leurs aventures, c’est qu’il compte bien vivre du récit de l’expédition. Le Gil Blas dont il était le collaborateur, dès le départ des autos, prépara le terrain en donnant par ci, par là, des nouvelles de leur envoyé spécial. On lit en mai 1905 : « Cette élégante compagnie et M. Claude Anet ont déjà traversé la Russie méridionale, la Crimée, et ils vont bientôt atteindre la Transcaucasie. Les populations des régions qu’ils traversent regardent, bouleversées, passer l’automobile ; parmi les paysans qu’ils rencontrent sur leur route, les uns se signent en les voyant, les autres leur lancent des pierres. Les autorités russes ont déconseillé aux voyageurs de poursuivre leur chemin. Mais ceux-ci ne cèdent pas à leurs instances. Arriveront-ils à Téhéran ? That is the question. »
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Les populations des régions qu’ils traversent regardent et réagissent |
LE SUPPLICE DE LA DILIGENCE PERSANE
On retrouve ce ton humoristico-rocambolesque tout au long des Roses d’Ispahan. Déjà le titre fleure bon la dérision. Il semble annoncer un style à la Leconte de Lisle. Souvenez-vous : « Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse / Les parfums de Mossoul, les Heurs de l’oranger. » Il cache en réalité, une écriture nerveuse, jetée en rafale sur le papier. Au fil des épisodes, Anet observe, sourit, trépigne, détaille et critique, bougonne, s’amuse de tout, se moque de lui et de ses compagnons dès qu’il le peut. S’il y a de très jolies pages, c’est la tragi-comédie qui prévaut. En arrivant à Téhéran par exemple, il n’y a plus qu’une voiture qui roule pour sept voyageurs. Qu’à cela ne tienne, une partie de la troupe voyagera en voiture à cheval. Mais à peine partis, ils font « une découverte terrifiante »: « Notre diligence n’a pas de ressorts et la route n’est que bosses et trous. […] Les voilà sans repos, secoués sur les planches étroites, et chaque secousse est une souffrance. Nous ne pouvons ni étendre les jambes, ni appuyer la tête ; alors les jambes s’engourdissent, les pieds meurent, les clavicules s’écorchent, les bras se tordent, l’épine dorsale fléchit, le cerveau est en bouillie ; on découvre qu’on a des reins et on ne l’oubliera plus. Tel est ce supplice auquel nous nous sommes bénévolement soumis, le supplice de la diligence persane. »
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en plein supplice de la diligence persane |
Ce qui finit de faire le charme de ce grand volume, ce sont les photos qui l’illustrent. « Elles accompagnent le texte, écrit Jules Bois, nous apportent de véritables documents, puisqu’elles ne doivent rien à la fantaisie, étant le résultat fatal de la collaboration des paysages et des hommes avec le soleil. Ces photos, prises au hasard des routes, imposent en quelque sorte au narrateur son esthétique qui est la notation immédiate, précise de la chose vue, à laquelle il joint des réflexions personnelles nées du choc impressif et de l’instant. Oui, l’instant, c’est cela. Instantanéisme aussi bien dans l’écriture que dans l’image. » Ce commentaire n’a pas pris une ride et on se délecte encore aujourd’hui devant ces photos souvent miraculeusement prises à l’aide « d’appareils de photographie [qui formaient] un bataillon important : il y [avait] trois kodaks pliants avec objectifs Gœrz ou Zeiss, un petit panoramique qui ne se [laissait] pas réduire, et un grand panoramique qui [était] hors toute mesure. Il [emplissait] à lui seul la caisse de l’auto ; ses angles [étaient] incisifs et, à chaque cahot, il [entamait] les tibias. A la halte, il [servait] de tabouret ou de table ; c’est du reste l’unique service qu’il [rendit] pendant longtemps, car il se [refusa] obstinément à photographier les paysages devant lesquels nous le [faisions] fonctionner. »
Il y a du Jacques Tati, du Buster Keaton, du Jérôme K. Jérôme dans ces Roses d’Ispahan – La Perse en Automobile qui, pour le moment, embaument la librairie. © villa browna
LE LIVRE QUI NOUS A PERMIS D’ÉCRIRE CETTE LORGNETTE EST DISPONIBLE A LA LIBRAIRIE. IL S’AGIT DE :
Claude Anet
Les Roses d’Ispahan – La Perse en Automobile, à travers la Russie et le Caucase
Paris, Félix Juven, 1906.
In-4, reliure en toile verte, haut des mors légèrement entaillés. Pièce de titre. Couverture conservée. Bel état intérieur.
317 pp., table. dont de 40 pages d’illustrations tirées sur papier glacé.
Edition originale. Récit enlevé, au jour le jour, de l’un des premiers road-trips automobiles. I – Le Départ. La Bessarabie. II – La Crimée. III- Le Caucase. IV- L’arrivée en Perse. V- De Resht à Téhéran ou premières expériences sur route persane. VI- Huit jours à Téhéran. VII- De Téhéran à Ispahan ou la diligence persane. VIII- Une semaine à Ispahan. IX – Le Retour. X- De Tiflis à Tabriz et Zendjan ou aventures héroïques de Léonida et d’une Mercédès dans les montagnes de la Perse. XI- La dernière étape. En appendice, « Comment aller en automobile jusqu’à Ispahan » renfermant une foultitude de renseignements détailler pour suivre l’exemple d’Anet et de ses intrépides compagnons. Wilson, Bibliog. of Persia, p. 7
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