Robida. Aquarelle originale pour les Contes drolatiques |
Balzac se prit un bide sidéral avec ses Contes drolatiques qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne firent pas rigoler ses contemporains. Pourtant il avait mis le paquet dans cette entreprise qui dans son esprit, aurait du comporter dix dixains de dix contes – un décaméron en quelque sorte – mais qui se solda par la seule parution de trois dixains en 1832, 1833 et 1837. Il avait présenté son projet par une charmante formule adressée en 1834 à la non moins charmante mais potelée madame Hanska : « Sur les bases de ce palais [que sera la Comédie humaine], moi enfant et rieur, j’aurai tracé l’immense arabesque des Cents Contes drolatiques ».
Il eut beau se mettre sous la gaillarde protection de Rabelais et à la mode du roman historique dont Walter Scott était prophète et pape, rien n’y fit. Ce fut un « succès négatif ! » dit Werdet, l’éditeur-créancier de Balzac, résumant par cette exclamation lapidaire l’avalanche des réactions et critiques qui fusèrent à la publication des dixains. Plus de vingt ans s’écoulèrent avant qu’un certain monsieur Caro, en 1859, passant outre la mauvaise première impression, se sentit« tenté de comparer le cerveau de Balzac à une vaste auberge où se rencontrent les hôtes les plus disparates. Là seulement peuvent s’attabler ensemble Rabelais et Swedenborg, Pantagruel et saint Martin:
Doré. Contes drolatique de Balza |
et si la salle est obscure, si le cerveau est mal éclairé, ne vous en étonnez pas trop. Il est rempli des fumées d’une double ivresse, l’ivresse de la dive bouteille, versée à flots par Pantagruel, et l’ivresse de l’azur mystique dont Swedenborg sature ses tristes convives ». Le retour en grâce vint aussi de Barbey d’Aurevilly qui n’hésita pas à écrire en 1860 que « Balzac eut l’incroyable puissance de se planter sur les épaules la tête de Babelais, et même d’un Rabelais supérieur à Rabelais de toute la force de l’idéalité et du pathétique, que l’auteur du Pantagruel n’avait pas! ».
Il n’en restait pas moins que la grivoiserie persistante des sujets, la crudité des propos, le parti-pris d’écrire dans un français pseudo-médiéval fantaisiste avaient freiné la bienveillance des lecteurs habituels de Balzac.
Et c’est peu d’affirmer que rarement travail d’illustrateur n’eut plus d’importance dans la redécouverte d’un texte littéraire que ceux de Doré et Robida dans la renaissance des Contes drolatiques.
Robida. Contes drolatiques de Balzac |
Mais ils y mirent le temps. Honoré cassait sa pipe en 1850 et ce ne fut qu’en 1855 que Gustave Doré entreprit de mettre sa plume au service des contes mal aimés. Le résultat est bouillonnant et truculent. Il est dans la lignée de l’œuvre des sculpteurs du Moyen-âge qui surent au fil des tympans, linteaux et chapiteaux expliquer la Bible aux fidèles qui maniaient mieux la binette que la plume d’oie. Or, Gustave avait un suiveur de qualité dans la personne d’ Albert Robida. Il se trouvait si bien sous l’ombre Dorée qu’il décida quelque temps plus tard de se mesurer non seulement à son maitre mais aussi à Honoré si plein, si entier que Rodin avait voulu le sculpter dans sa nudité créatrice avant d’être expressément obligé de voiler d’une robe de chambre fatiguée l’écrivain en gloire.
Il faut dire que dans le club très privé des bourreaux de travail, Balzac et Robida figurent en bonne place. A la Comédie humaine de l’un répondent les 60 livres écrits, 200 livres illustrés, la participation active à environ 70 revues de presse et les près de 60 000 dessins de l’autre. Cela dit – pour ceux qui auraient des velléités de comparer leurs productions à la sienne, avant qu’ils ne se mettent la tête dans les mains et le canon sur la tempe, je tiens à rappeler qu’il n’avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni iPad, ni réunions parents-professeurs, ni jolies jambes de jeunes fille à reluquer puisqu’elles portaient long les jupes et qu’il était myope comme une taupe. De surcroit, il avait à nourrir une famille très nombreuse dont il fuyait les bavardages et les chahuts en s’isolant pour travailler.
Robida. Cocquesigrues drolatiques |
naturellement qu’il se frotta à l’interprétation pullulante et noire que fit Doré des Contes drolatiques. Il en donna une lecture plus aérienne bien qu’aussi fourmillante. Il dessina moins de faces grimaçantes que son ainé, mais plus de visages lisses de jeunes femmes polissonnes. II répondit à l’outrance du texte par des foules agglutinées, des chevaux élégants contrebalançant la balourdise des hommes et des bestioles échappées des tableaux de Jérôme Bosch.
Albert Robida |
[AQUARELLE ORIGINALE], [Robida], Balzac, Honoré de. Les contes drôlatiques colligez ez abbayes de Touraine […]
Gustave Doré |
[Doré], Balzac, Honoré de. Les contes drôlatiques colligez ez abbayes de Touraine […]
J. Barbey d’Aurevilly Les romanciers Paris,Amyot, 1860.